Colossal Biosciences où le mirage du clonage.

Couverture de l'article représentant un humain attaquant un mammouth, tel Colossal Biosciences qui s'attaque aux mammouths laineux qui devraient reposer en paix.

Introduction

Colossal Biosciences est une entreprise américaine fondée en 2021 par le généticien George Church et l’entrepreneur Ben Lamm. Leur ambition : « ramener à la vie » des espèces disparues, à commencer par le mammouth laineux, mais aussi le dodo ou le loup géant (dire wolf). Ces annonces spectaculaires séduisent les médias et une partie du grand public, fascinés par l’idée de réincarner la faune préhistorique.

Cependant, derrière cette narration se cache une réalité plus complexe. Les « loups géants » de Colossal ne sont pas des clones de canidés disparus il y a 10 000 ans : ce sont des loups gris modernes dont quelques gènes ont été modifiés. Autrement dit, une création de laboratoire habillée du vocabulaire de la « résurrection ».

L’entreprise, forte de soutiens financiers prestigieux et d’une communication bien huilée, se présente comme pionnière de la conservation. Mais de nombreuses ONG et scientifiques alertent : ces manipulations relèvent davantage du spectacle biotech que d’une stratégie crédible pour sauver la biodiversité.

Le projet Colossal Biosciences

La stratégie de Colossal repose sur l’édition génétique, en particulier la technologie CRISPR-Cas9. L’idée est : 1. de séquencer des fragments d’ADN fossile 2. d’identifier les gènes caractéristiques d’une espèce disparue 3. puis de les insérer dans le génome d’un proche parent vivant exemples : l’éléphant asiatique pour le mammouth, le pigeon biset pour le dodo, ou le loup gris pour le “loup géant”.

Les animaux ciblés par Colossal incarnent tous une dimension symbolique. Le mammouth laineux est devenu l’icône d’une faune perdue. Le dodo est l’exemple d’extinction causée par l’homme. Quant au “loup géant”, il évoque l’imaginaire populaire nourri par Game of Thrones. L’entreprise utilise ces symboles pour capter l’attention médiatique et mobiliser l’imaginaire collectif. Sur les 3 "loups géants", l'unique femelle a été nommée Khaleesi en référence à l'une des protagonistes de la série.

Photo de Khalessi, la femelle du groupe de "loups géants" de Colossal Biosciences
Khalessi agée de quelques mois - Colossal Biosciences

Cette communication s’appuie largement sur des références culturelles. En 2022, la presse titrait déjà sur un “Parc jurassique grandeur nature”. Colossal encourage cette vision, parlant de “dé-extinction”, alors qu’il s’agit en réalité de modifications génétiques de convenance. Le vocabulaire choisi sert à séduire investisseurs, médias et grand public, brouillant volontairement la distinction entre science et storytelling.

Les soutiens et les financements

Colossal bénéficie d’un financement impressionnant : plus de 225 millions de dollars en 2023 (en seulement 2 ans) et plus de 450 millions à ce jour levés auprès d’investisseurs privés. Parmi eux, des noms qui frappent l’imaginaire : le milliardaire libertarien Peter Thiel (PayPal), Paris Hilton, mais aussi de puissants fonds de capital-risque spécialisés dans les biotechnologies. Ce mélange d’argent et de glamour permet à Colossal de se présenter comme une entreprise “cool” et visionnaire, détournant ainsi les critiques scientifiques.

Ces soutiens ne sont pas anecdotiques. La présence de personnalités médiatiques offre une légitimité culturelle. Lorsqu’une star comme Hilton relaie Colossal, elle mobilise un public éloigné des questions de génétique, et rend la biologie de synthèse “sexy”. Cette stratégie, très efficace, contribue à faire oublier que la viabilité scientifique de ces projets reste fragile.

Certaines ONG et gouvernements choisissent de collaborer ponctuellement. L’argument avancé : restaurer des écosystèmes. Par exemple, l’idée qu’un “mammouth recréé” pourrait aider à ralentir le dégel du permafrost en Sibérie, ou que la réintroduction du dodo servirait de vitrine à la conservation.

🚨 Attention :

Ces alliances révèlent aussi un double discours : des institutions prêtes à sacrifier une partie de leurs principes éthiques si l’opération améliore leur image ou débloque des financements.

Enfin, l’évaluation économique de Colossal atteint plus de 10 milliards de dollars selon Forbes. Un chiffre vertigineux pour une entreprise qui n’a encore rien “ramené à la vie”. Le modèle économique repose sur plusieurs leviers : brevets de technologies génétiques, partenariats pharmaceutiques, et surtout promesse d’un futur marché de “services écologiques” via les animaux recréés. Derrière la rhétorique écologique, il s’agit donc aussi d’une opération de profit.

Les critiques scientifiques et éthiques

Les premières critiques sur le concept de modifications génétiques et dé-extinction d'une espèce une espèce viennent des grandes ONG environnementales comme Greenpeace et La LFDA. Pour elles (et pour nous aussi !), la dé-extinction détourne l’attention et les moyens d’action de la vraie urgence : protéger les espèces menacées aujourd’hui. Restaurer des habitats détruits et lutter contre le braconnage sauve réellement des vies animales, contrairement à des projets de laboratoire.

Du côté académique, de nombreux chercheurs dénoncent l’impossibilité technique de recréer une espèce disparue. Même avec CRISPR, l’ADN fossile est fragmenté et incomplet. Le résultat ne peut être qu’un hybride, jamais un véritable mammouth ou un authentique loup géant. Par ailleurs, les conditions environnementales qui avaient façonné ces espèces n’existent plus, rendant leur “retour” illusoire. Comment réintégrer une espèce dans un milieu qui n'est pas le sien avec un écosystème déjà en place sans que ça ait des conséquences sur tous les être vivants qui l'entourent ? Et si la question ne se posait pas ça voudrait dire que les animaux clonés de Colossal seraient destinés à vivre en cage ou en élevage, on s'éloigne tout de suite du rêve de revoir les mammouths parmi nous.

Les implications éthiques sont lourdes. Les tentatives de clonage antérieures (par exemple chez les bovins ou les primates) ont souvent conduit à des animaux souffrant de malformations, de cécité ou de déficiences immunitaires comme l'indique clairement l'EFSA et la commission Européenne. Les “loups” de Colossal auraient très probablement présenté de telles anomalies s’ils avaient été clonés directement, preuve qu’il ne s’agit pas de réels clones mais d’animaux modifiés.

Enfin, les critiques soulignent l’absence de rôle écologique. Un dodo élevé en laboratoire ne retrouvera pas son habitat mauricien d’origine, aujourd’hui ravagé par l’urbanisation et les espèces invasives. Un pseudo-mammouth ne pourra pas rétablir la toundra sibérienne. Ces animaux, créés hors contexte, risquent de devenir des curiosités biologiques plutôt que des acteurs de restauration écologique.

Pourquoi ces “loups géants” n’en sont pas

Colossal a affirmé en 2022 avoir « ramené » le dire wolf, une espèce de canidé disparue il y a 10 000 ans. Or, en réalité, il ne s’agit pas de clonage : les animaux produits sont des loups gris modernes (Canis lupus) dont quelques gènes ont été modifiés pour ressembler superficiellement à ceux des dire wolves.

Les analyses génétiques sont claires : le dire wolf n’était pas simplement une “variété” de loup, mais une espèce distincte, éloignée d’au moins un million d’années sur l’arbre évolutif. Modifier quelques marqueurs ne recrée pas son patrimoine génétique complet, ni ses comportements sociaux, ni son rôle écologique.

De plus, si Colossal avait tenté un clonage véritable, les risques de malformations auraient été énormes : absence de vue, surdité, immunodéficience. Les échecs massifs des expériences de clonage antérieures (chez les bovins ou les chiens) l’illustrent. En prétendant avoir “réussi” sans ces effets secondaires, l’entreprise révèle implicitement qu’il ne s’agit pas de clonage mais de bricolage génétique.

Le danger est que ce discours brouille les repères. En faisant croire au public qu’un animal “ressuscité” vit sous nos yeux, Colossal banalise la confusion entre science et fiction, et détourne l’attention des véritables enjeux de la conservation.

Un risque pour la conservation réelle

La dé-extinction telle que promue par Colossal pose un problème majeur : elle détourne des fonds et de l’attention. Chaque dollar investi dans un “mammouth futuriste” est un dollar en moins pour protéger les éléphants d’Afrique, qui s’éteignent réellement sous le braconnage et la destruction d’habitat. Les ONG dénoncent ce transfert de ressources comme une erreur éthique et une erreur stratégique.

Il existe aussi une illusion dangereuse : celle que la biodiversité est “sauvegardée en laboratoire”. Si nous pouvons ramener les espèces disparues plus tard, pourquoi protéger les vivantes aujourd’hui ? Ce raisonnement, encouragé implicitement par Colossal, fragilise les politiques de protection. C’est la même logique que l’argument : “Peu importe si la Terre devient invivable, nous irons sur Mars”.

En outre, ces expériences ignorent le contexte écologique actuel. Réintroduire un pseudo-dodo ou un mammouth dans un écosystème moderne profondément transformé n’a aucun sens. Sans son environnement d’origine, l’animal recréé devient un corps étranger, sans rôle fonctionnel. Le dodo de laboratoire ne réensemencera pas les forêts mauriciennes disparues, pas plus que le mammouth ne recréera la steppe gelée du Pléistocène.

Enfin, pendant que les projecteurs sont braqués sur Colossal, la biodiversité s’effondre dans l’indifférence. Nous vivons la sixième extinction de masse, avec près d’un million d’espèces menacées selon l’ONU. Ces priorités sont incompatibles : investir dans une illusion spectaculaire revient à abandonner le combat concret de la conservation.

Notre conclusion

Colossal Biosciences incarne un paradoxe contemporain : utiliser la biotechnologie la plus avancée pour répondre à un fantasme archaïque : ressusciter le passé. Mais en se focalisant sur des chimères génétiques, l’entreprise occulte les véritables urgences de la conservation et propose des solutions qui relèvent davantage de la communication que de la science.

Leur stratégie séduit car elle fait rêver : mammouths, dodos, loups géants… Mais ce rêve est une distraction. Derrière les promesses, on trouve un modèle économique spéculatif, des manipulations génétiques partielles, et une instrumentalisation du discours écologique.

La priorité reste claire : protéger les espèces vivantes et leurs habitats, aujourd’hui ! Ressusciter artificiellement des fantômes du passé ne résoudra ni la crise climatique ni l’effondrement de la biodiversité. Au contraire, cela risque de nous faire perdre un temps précieux en plus de nous faire oublier que ces espèces ne sont pas réellement de retour. Face à l’urgence, la conservation réelle doit primer sur la science-spectacle.